30 oct. 2011

Le record du « sans maître »

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Il y a à peu près 6 mois de ça, j'avais lu que la réforme territoriale ("fusion" des conseillers généraux + régionaux en "conseillers territoriaux"), au lieu de nous faire faire des économies (c'est pourtant comme ça qu'on nous l'a vendue), amenait à un système qui coutait plus cher que le précédent.
Bon... Les gars ont du se tromper dans leurs calculs pendant la réunion, ils n'avaient pas tout prévu... mais enfin à ce niveau-là et avec ses conséquences-là, ça fait bizarre. Définitivement très inquiétant. Définitivement louche, aussi. On ne se "trompe" pas dans ses calculs sans, au moins, une petite arrière-pensée.

Dans la même idée ("l'économie qui coûte plus"), je me disais il n'y a pas longtemps : avec les suppressions de postes d'enseignants "vrais" (j'entends des contrats de fonctionnaires à plein temps), il doivent bien être obligés de combler les vides avec des vacataires, des contrats précaires de chez Manpower, et du coup... ça ne nous coûterait pas plus cher que le système précédent, juste comme ça, par hasard ?

Confirmation :

Éducation scolaire : record du « sans maître » en France.
Avec les nombreuses suppressions de postes d’enseignants, l’Éducation nationale a de plus en plus recours à des vacataires et aux heures supplémentaires. Du coup, la masse salariale globale a augmenté par rapport à l’année dernière.
Le Canard Enchaîné, 19 octobre 2011, p.4.

J'en suis toute ébaubie. Ils nous prennent vraiment pour des truffes.

27 oct. 2011

Allocution du soir, bonsoir.

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De Mr Sarkozy, ce soir 27/10/2011 : "Moins d'assistanat et plus d'investissement. Voilà ce vers quoi il faut aller."
Difficile de s'opposer au vu des mots employés.

Sauf qu'une fois décryptage fait, ça donne : "Moins d'implication de l'Etat, et plus du privé".
D'un coup, les choses sont plus claires, on sait de quoi on parle et on peut commencer à discuter.

Traduction effectuée grâce au travail de la Scop Le Pavé, notamment sur la manipulation de l'opinion par la prise de contrôle de la langue :
"Un philosophe aujourd’hui oublié, Herbert Marcuse, nous mettait en garde : nous ne pourrions bientôt plus critiquer efficacement le capitalisme, parce que nous n’aurions bientôt plus de mots pour le désigner négativement. 30 ans plus tard, le capitalisme s’appelle développement, la domination s’appelle partenariat, l’exploitation s’appelle gestion des ressources humaines et l’aliénation s’appelle projet."
http://www.scoplepave.org/la-culture


Edit du 30/10/2011 :
Pfffiou... Pépite du soir bonsoir... Celle-là résume les choses de façon si abrupte que j'en ai froid dans le dos :
« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots »
- Jean Jaurès -

14 oct. 2011

Le candidat naturel

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Je m'insurge car, comme diraient d'autres, on nous vole des mots. On nous en retire certains et on nous les remplace par d'autres, et personne ne tique.

"- Monsieur X, vous avez occupé des places importantes au sein de la droite depuis plus de 15 ans, et avez été très présent aux côtés de Nicolas Sarkozy sur les dossiers importants du quinquennat qui se termine. Avez-vous envisagé d'être le candidat de la droite ?
- Non, ce n'est pas d'actualité, la question ne se pose pas. Nicolas Sarkozy, en tant que président sortant, est le candidat naturel de la droite."

Le "candidat naturel"...
Sans blague, ça fait rêver. Du coup ça donne envie d'y regarder de plus près, aussi.
Candidat, d'accord, ok. Naturel, vraiment ?
Monsieur Sarkozy serait-il bio ?

Non mais, sérieusement, peut-il véritablement revendiquer une poursuite "naturelle" sur un second quinquennat ? POURQUOI et COMMENT peut-il être désigné "candidat naturel" ?
Rhâââ... Et puis qu'est-ce qui est naturel, à la fin ?
(Où sont mes notes de philo de terminale ?)

POURQUOI CA, "NATUREL" ?
Je vois (au moins) deux raisons bien pratiques :

- "Naturel" veut souvent dire - par raccourci dans nos esprits trop occupés - "bon". Choix lexical intéressant, donc. Porteur de belles couleurs. Ça sonne bien. C'est joli, c'est frais. Un petit goût d'authentique, même. D'un point de vue marketing, ça fonctionne bien.

- Ce qui est "naturel", on ne le remet pas en cause. C'est légitime, évident. C'est, parce que c'est comme ça. Parce que ça a toujours été. Ça ne souffre aucune contradiction, aucune controverse, aucun commentaire. Ça a des racines, c'est inébranlable.
Qui pour s'autoriser à penser un positionnement différent ? Personne car c'est cuit d'avance, la bataille est perdue.
" - Pourquoi papa ? - Parce que."
Tel est le candidat "naturel". Indiscutable. Et ça c'est sacrément pratique.

COMMENT CA, "NATUREL" ?
Là ça se complique, il faut vraiment ressortir les notes de Terminale. L'opposition nature/culture... Quelqu'un a des souvenirs ?
Je ne vais pas faire de thèse/antithèse/synthèse parce que je suis convaincue que ce terme de "candidat naturel" est une arnaque, alors on va juste le poser comme hypothèse et se contenter d'une démonstration rapide.

1) Définitions
> Le naturel : ce qui est donné à la naissance. Ce qui est constitutionnel et qui fait donc partie de la nature d'un être. Universel.
> La culture : ce qui est acquis et/car (?) transmis. Ensemble de règles sociales, d'impératifs spirituels ou religieux, de normes familiales, d'habitudes, de traditions, de coutumes, de goûts esthétiques, etc. Propre à une époque et un lieu.

2) Démonstration
(vous ferez les réponses)
Question 1 : cette identité de candidat à la ré-élection a-t-elle été donnée à Monsieur Sarkozy à sa naissance ?
Question 2 : la définition d'un candidat à une ré-élection varie-t-elle selon les lieux ? Selon les époques ?

3) Conclusion
Monsieur Sarkozy n'est pas le candidat "naturel" de son parti. Il est, pour ainsi dire, le candidat "culturel".
Il est le candidat des usages d'un moment et d'un lieu. Il est le candidat fruit des règles, de l'habitude ou de la tradition en place dans son cercle, le candidat issu de l'application de certaines lois de fonctionnement. Certes peut-être pour la raison qu'"elles ont toujours valu", mais c'est un autre débat et surtout ça n'en rend pas les-dites lois "naturelles".

Il n'est pas le candidat "naturel".
A la rigueur, il est le candidat qui, au sein de sa culture, est perçu comme "naturel", parce qu'on perçoit (malheureusement ?) toujours ses habitudes et l'application des règles qui sont celles de sa culture comme normales, ce qui abusivement conduit à parler de "naturelles".

Il est le candidat usuel, habituel, classique, d'usage.
Le candidat du "chez nous, c'est comme ça qu'on fait" ou plus exactement, peut-être, le candidat du "chez nous, on a toujours fait comme ça".
C'est moins classe, et pourtant ce n'est rien d'autre que cela.
Ça en impose nettement moins, mais il serait bon d'assumer et d'arrêter de nous vendre ce qui n'est pas. Et pour cela, de changer de vocabulaire.

6 oct. 2011

La promesse de l'aube

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Un jour, par hasard, j'entends parler du Théâtre de la Commune d'Aubervilliers. En bien. En très bien.
Un jour, par la malchance d'un spectacle raté, je poireaute dehors sous un ciel gris devant un théâtre.
Je récupère quelques prospectus culturels pour tuer le temps, et je tombe sur le précédemment cité "Théâtre de la Commune".

Les choses viennent à vous, il n'y a pas besoin d'aller les chercher.

Hop hop, sourire de joie et ouverture de la brochure ; je cherche des yeux quelque chose qui me confirmerait que oui, l'endroit "vaut" sa réputation.
Le seul édito satisfera mes attentes.
Je vous le livre parce qu'il est bien bien joli...
(Didier Bezace, le directeur du théâtre de la Commune, en est l'auteur partiel, il rapporte les écrits de Jean-Luc Lagarce)

Se faire de nouvelles promesses

Je relis avec émotion le petit catalogue de bonnes résolutions que Jean-Luc Lagarce dresse en 1991 à la veille de la réouverture annuelle du théâtre Le Granit à Belfort. Vingt ans après, j’y trouve encore les mots qu’il faut se dire – se redire – de temps à autre et notamment quand il s’agit de construire l’imaginaire de la saison à venir ou lorsqu’on s’apprête à mettre un nouveau projet artistique sur le chantier du théâtre, ou bien dans l’exercice quotidien de la direction d’une maison qui doit rester, dans un contexte de plus en plus chaotique, fidèle à ses ambitions, aux raisons d’être du théâtre dans la cité.

Chacun d’entre nous, spectateurs, artistes, artisans de la scène et d’autour, peut aller chercher dans sa vie intime, personnelle et professionnelle, des raisons de se réciter à voix basse, le sourire aux lèvres et vaguement sceptique sur sa chance d’honorer toutes les promesses du catalogue, quelques-unes de ces maximes du bon vouloir, écrites avec humour et élégance par un de nos plus précieux poètes du théâtre contemporain, je lui cède amicalement la parole : « Se faire de nouvelles promesses. Se promettre de ne plus recommencer. Aller son chemin. Ne pas écouter les conseillers attentifs pleins de sollicitude.
Se méfier de toutes les certitudes. Continuer à avoir peur, être inquiet, ne jamais être sûr de rien. S’inquiéter du respect et se garder de la fausse insolence. Haïr la parodie. Se souvenir. Ne jamais oublier de tricher. Dire la vérité et ne plus s’en vanter. Abandonner les voies rapides et suivre les traces incertaines. Parfois aussi, de temps à autre, s’arrêter, ne plus rien faire et ne pas affirmer que ce fut pour réfléchir. Prendre son temps. Ricaner dans les moments inopportuns. Sourire avec douceur. Ne pas être, jamais, efficace, renoncer. Lutter contre les médiocres. Résister. Éviter toujours ces mots-là, ces choses qu’on ne comprend jamais, “le consensus”, “la conjoncture”, “les synergies”, on a beau avoir fait des études, ces mots-là, on ne les comprend pas, alors on les laisse. Ne pas craindre l’affrontement. Ne pas craindre même, admettons, de provoquer l’affrontement. Chercher la bagarre, oui, “des fois”, et même juste pour rire. S’en moquer. Garder en réserve, toujours au milieu des défaites, la légère et nécessaire ironie de la victoire. Inversement aussi, j’allais le dire (1). »

(1) Jean-Luc Lagarce, “Se faire de nouvelles promesses”, in Du luxe et de l’impuissance, © Les Solitaires Intempestifs, 1997.